Réflexions 7 - DANS L'OMBRE OU DANS LA LUMIERE ?
Au cours d'une intervention devant la direction de mon entreprise, je me suis indigné que cette dernière utilise Twitter afin de communiquer avec ses clients comme avec son personnel. « En 140 signes, aucun débat n'est possible... On enfonce le lecteur dans la médiocrité du prêt à penser. »Il me fut répondu que l'aphorisme permettait, à l'instar de certains philosophes antiques, d'envoyer des messages non dénués d'une certaine profondeur.
Il me fallut bien admettre que ce n'était pas faux. Moi, le disciple de Diogène, pris à mon propre piège comme un vulgaire sophiste... Il y a de quoi enrager me direz vous. Il y a surtout un rappel flagrant de la réalité : Dans un débat public, la réalité n'a pas toujours l'importance que l'on voudrait, seul compte l'art de convaincre. Jacques Vergés en son temps avait bien expliqué tout cela : la justice est un jeu, le tribunal un théâtre, le procès est une scène sur laquelle la vérité qui apparaîtra sera celle de celui qui aura raconté l'histoire la plus belle.
Ainsi, toutes nos relations aux autres ne seraient que « jeu de dupes ». Nous ne serions que les pantins d'une relativité permanente, jouant sans cesse du Pirandello : A chacun sa vérité. C'est effectivement ce qu'enseigne le monde dans lequel nous vivons, de Marc Alain Ouaknin qui enseigne qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais qu'il est différent pour chacun d'entre nous, d'où la multitude de nom enfermés dans le tétragramme YHVH, jusqu'au Palpatine de Star Wars qui affirme à son disciple : « Le bien, le mal...c'est juste une question de point de vue ».
Mais alors, quel enseignement celui qui a reçu la mission protéger les plus faibles doit-il en tirer ? La raison du plus fort est toujours la meilleure ? A cette fable sans doute connue de tous les décideurs, je préfère celle du Lion et du moucheron qui affirme qu' »entre nos ennemis Les plus à craindre sont souvent les plus petits ». Relativité, encore et toujours...
Cet enseignement, utile en temps de guerre, tous les lecteurs de Machiavel ou de Sun Tsu le connaisse. Je le connais aussi, et je sais m'en servir. Mais j'y répugne toujours dans la mesure où après les batailles, il ne reste que des morts et des ruines. Ce n'est pas ainsi que l'on participe utilement aux bonheur des hommes.
Qui que soit notre adversaire, quelles que soient ses raisons (et sans doute lui paraissent-elles toujours légitimes), je veux croire qu'un vrai dialogue entre les partis opposés, à défaut de faire surgir une vérité absolue qui n'existe nulle part, permet toujours d'éviter bien des souffrances inutiles et de mieux satisfaire ceux qui nous font l'honneur de nous demander de les représenter.
C'est une entreprise difficile, dans la mesure où elle nécessite que tout le monde soit de bonne foi. Elle nécessite également que les négociateurs n'aient pas à se munir d'une longue cuillère en tremblant de souper avec « le Diable ». C'est également une démarche la plupart du temps méprisée par les partisans des deux camps, les uns ayant faim et soif de justice, les autres certains que leur « pragmatisme » est le seul chemin possible. Ce qui implique que les négociateurs soient des hommes de l'ombre, ou en tous cas ne recherchent pas la lumière des projecteurs.
Un exemple parmi tant d'autres possibles : qui aujourd'hui connaît le nom de Nicolas Brulart de Sillery ? Un inconnu qui négocia dans le plus grand secret la paix de Vervins entre la France, l'Espagne et la Savoie...en 1598. Il obtint également du Pape l'annulation du mariage entre Henri de Navarre et la reine Margot, permettant ainsi le remariage de Henri IV et Marie de Médicis. Sans lui, Louis XIII ne serait pas né, et l'Histoire de France aurait été totalement différente.
Ces hommes de l'ombre, ces hommes de paix, apportent plus, j'en suis persuadé que ceux qui, connus du grand public, avance en parlant fort et en donnant des coups de mentons. Et c'est bien de ces hommes de l'ombre que j'entends encore et toujours m'inspirer pour un meilleur service rendu à ceux qui souffrent, ceux qui luttent, ceux qui sont incapables de se défendre eux mêmes, mais qui souvent font la richesse d'un pays entier.
La paix ne se construit pas sur les voies royales, mais sur les chemins de traverses qu'il faut oser emprunter. Pour le coup, je me suis résigné à ouvrir un compte sur Twitter...